THE HILL TIMES | LUNDI 21 AOÛT 2023
Il est grand temps que le gouvernement s’occupe de cette catastrophe environnementale en devenir, un problème grave qui s’aggravera si on l’ignore.
OTTAWA – Le 10 août, la Commission canadienne de sûreté nucléaire a tenu une audience finale sur l’autorisation d’un gigantesque dépôt de déchets radioactifs en surface près de la rivière des Outaouais, en amont d’Ottawa-Gatineau et de Montréal, à Chalk River (Ontario), qui a créé un précédent.
Des délégations de trois Premières Nations algonquines – Kebaowek, Kitigan Zibi et Barriere Lake – se sont réunies au 50 Sussex Dr. à Ottawa pour faire leurs présentations finales en personne aux membres de la communauté, aux alliés non autochtones et à une poignée de représentants élus, au mépris d’un décret de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) stipulant que l’audience ne serait que virtuelle. La CCSN a présidé l’audience via Zoom.
Pendant l’audience, une tempête sans précédent s’est abattue sur le site, avec d’énormes quantités de pluie, de tonnerre, de grêle et de vent qui ont soufflé sur les chaises de la terrasse extérieure couverte où la foule en surnombre regardait les débats. Malgré la férocité de l’orage, les aînés algonquins ont entretenu un feu sacré cérémoniel tout au long de la cérémonie.
Si le projet est approuvé, la décharge géante, appelée “installation de stockage en surface” (IGDPS) par le promoteur, contiendrait un million de tonnes de déchets radioactifs et dangereux dans un monticule en surface sur la propriété des laboratoires de Chalk River, une installation nucléaire fédérale fortement contaminée établie sur des terres algonquines volées en 1944 afin de produire du plutonium pour les armes nucléaires américaines. Les laboratoires de Chalk River représentent un énorme passif environnemental pour le gouvernement du Canada, avec un coût de dépollution estimé à plusieurs milliards de dollars.
Le promoteur de la décharge est un consortium multinational composé de SNC-Lavalin et de deux multinationales basées au Texas : Fluor et Jacobs. Le consortium a été engagé par le gouvernement conservateur en 2015 pour réduire rapidement et à moindre coût l’énorme responsabilité fédérale en matière de déchets nucléaires hérités. Paradoxalement, les coûts pour les contribuables de la gestion des déchets radioactifs hérités du gouvernement fédéral canadien ont grimpé à plus d’un milliard de dollars par an après la privatisation.
L’audition du 10 août a créé un précédent à deux égards. Si elle est approuvée, l’IGDPS sera la toute première installation de stockage permanent des déchets de réacteurs nucléaires au Canada. Deuxièmement, la décision d’autoriser ou non l’installation est un test important de l’engagement du Canada envers la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui interdit le stockage de déchets radioactifs sur les terres des peuples autochtones sans leur consentement libre, préalable et éclairé. Dix des onze Premières nations algonquines, dont les membres vivent dans la vallée de l’Outaouais depuis des temps immémoriaux, ont déclaré qu’elles ne consentaient pas à ce que l’ IGDPS soit implanté sur leur territoire non cédé.
Bon nombre des déchets qu’il est proposé d’éliminer dans le NSDF resteront dangereux et radioactifs pendant des milliers, voire des millions d’années, selon le Dr. J.R. Walker, le plus grand expert canadien en matière de déchets radioactifs hérités du gouvernement fédéral et de la meilleure façon de les gérer. M. Walker a clairement indiqué que les déchets proposés pour l’IGDPS ne sont pas des déchets de faible activité, mais des déchets radioactifs de “niveau intermédiaire” qui devraient être éliminés à des dizaines, voire des centaines de mètres sous la surface du sol. Il a également affirmé que la proposition n’était pas conforme aux normes de sécurité internationales.
Le site proposé pour l’IGDPS se trouve sur le flanc d’une colline entourée de zones humides qui se jettent dans la rivière des Outaouais, à moins d’un kilomètre de là.
La déclaration d’impact sur l’environnement du promoteur documente les nombreuses façons dont la décharge pourrait fuir pendant son exploitation et après sa fermeture. Trois isotopes du plutonium figurent sur la longue liste des radionucléides qui seraient rejetés dans la rivière des Outaouais dans les “effluents traités” de la décharge. Le monticule devrait se dégrader, s’éroder et finalement se désintégrer en raison de “l’évolution naturelle”.
La plupart des gens pensent qu’il est répréhensible de déverser délibérément des matières radioactives dans une importante source d’eau potable telle que la rivière des Outaouais, car il n’existe pas de niveau d’exposition sûr à ces poisons fabriqués par l’homme. Chaque rejet accidentel ou délibéré augmente les risques de cancer, de malformations congénitales et de dommages génétiques chez les populations exposées.
L’Assemblée des Premières Nations et plus de 140 municipalités situées en aval, dont Ottawa, Gatineau et Montréal, ont adopté des résolutions exprimant leur inquiétude à l’égard de la proposition du IGDPS.
Malgré les nombreuses lacunes et la forte opposition, le personnel de la Commission canadienne de sûreté nucléaire n’a jamais hésité à soutenir le projet de décharge. Il semble qu’il n’ait jamais reçu le mémo en 2000 lorsque le mandat de l’organisation a été modifié par une nouvelle législation, passant d’un rôle de promotion de l’industrie nucléaire à un mandat strictement axé sur la protection des Canadiens et de l’environnement.
L’audience du 10 août a été présidée par un seul commissaire, ainsi que par la présidente de la CCSN. Leurs curriculum vitae respectifs font état de longs états de service et d’allégeance à l’industrie nucléaire. Les deux fonctionnaires n’ont pas posé une seule question aux équipes d’intervenants des Premières nations, qui étaient manifestement choquées par le manque d’intérêt pour les informations qu’elles s’étaient donné tant de mal à rassembler et à partager. Un membre de l’équipe a demandé : “Pouvons-nous vous poser des questions ?”, ce à quoi le président a sèchement répondu : “Ce n’est pas notre façon de procéder.”
Le régime de gouvernance nucléaire gravement déficient du Canada a été décrit précédemment dans le Hill Times. La gouvernance nucléaire au Canada s’appuie fortement sur la CCSN pour presque tous les aspects de la surveillance de l’industrie nucléaire. La CCSN est largement perçue comme un “régulateur capturé” qui promeut les projets qu’elle est censée réglementer.
Il est clair que notre régime de gouvernance nucléaire gravement déficient a permis à l’IGDPS – un simulacre grotesque d’installation de gestion responsable des déchets radioactifs – d’être proposée et prise au sérieux au Canada. La décision de la CCSN d’approuver le permis pour l’IGDPS est attendue prochainement.
La puissante tempête qui s’est abattue sur le 50 Sussex Dr. pendant que l’on entendait des témoignages en langue algonquine sur la cupidité et la destruction inconsidérée de l’environnement a souligné la gravité de la décision envisagée. Il ne fait aucun doute qu’une tempête record comme celle qui a frappé l’IGDPS au cours de sa phase de remplissage de 50 ans – alors que les déchets sont exposés aux éléments – pourrait facilement provoquer d’importants déversements de poisons radioactifs et d’autres matières dangereuses dans la rivière des Outaouais.
Il est grand temps que le gouvernement se réveille et s’attaque à cette catastrophe environnementale en cours, un problème grave qui ne fera que s’aggraver au fur et à mesure qu’il sera ignoré.
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Lynn Jones est une gestionnaire de programme de santé publique à la retraite qui travaille maintenant pour Concerned Citizens of Renfrew County and Area, une organisation non gouvernementale qui œuvre depuis plus de 40 ans à l’assainissement et à la prévention de la pollution radioactive provenant de l’industrie nucléaire dans la vallée de l’Outaouais. Elle est basée à Ottawa.
L’image ci-dessous est une simulation de l’effet baignoire tirée du documentaire de Découverte “Chalk River Heritage”.



