Le Devoir Op Ed: Des déchets radioactifs de faible activité

le 13 juin, 2020 (English translation follows)

https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/580766/des-dechets-radioactifs-de-faible-activite?fbclid=IwAR3gIbn_hyfpS63do9M3Z9G-jWnHm9JLiSTOE6Y3Q85IyYN_mYDYXwwBRv4

Par Gilles Provost, journaliste scientifique à la retraite

Pendant que les médias parlent de coronavirus et d’émeutes raciales, le Canada s’affaire à tromper le public en détournant la définition de ses déchets radioactifs. 

The regulations stipulate that a radioactive product will be "of low activity" as soon as it is possible to dispose of it safely within 30 meters, maintains the author.

Les déchets de faible activité, par exemple, sont depuis toujours des produits radioactifs assez inoffensifs pour qu’on puisse les manipuler à main nue, sans blindage de protection. Or, dans quelques jours à peine, ces mêmes mots « déchets de faible activité » vont désigner des produits radioactifs mille fois plus dangereux, souvent mortels au toucher. 

Ce détournement linguistique est caché dans un règlement-fleuve que la Commission canadienne de sureté nucléaire (CCSN) prévoit adopter le 18 juin prochain. Le règlement prévoit qu’un produit radioactif sera « de faible activité » dès qu’il sera possible de l’éliminer sécuritairement à moins de 30 mètres de profondeur (« près de la surface »), quitte à l’envelopper d’une chape de plomb ou de béton! 

Un seul critère à respecter : ces déchets devront contenir surtout des produits radioactifs à vie courte, dont le danger aura disparu en « quelques siècles ». La logique ici, c’est qu’un dépotoir près de la surface est vulnérable à l’érosion et aux intrusions humaines. Comme ses systèmes d’isolement et de protection ont une espérance de vie limitée, on ne devrait y mettre que des déchets qui vont se désintégrer rapidement. Leur danger doit disparaître plus vite que le dépotoir. 

L’illogisme, ce n’est pas de créer cette nouvelle classe de déchets; c’est plutôt de conserver l’ancienne appellation qui devient alors trompeuse. On ne peut pas parler de déchets de faible activité si on ne tient même plus compte de leur niveau d’activité! 

Pire, on se heurte alors à une absurdité scientifique : L’activité d’un produit radioactif, en physique, c’est sa vitesse de désintégration. Plus il se désintègre rapidement, plus son activité est forte.  Cela veut dire qu’un produit radioactif de forte activité selon la physique serait maintenant un déchet de faible activité, selon la nouvelle définition décrétée par la Commission canadienne de sûreté nucléaire

L’erreur est si grossière qu’elle en devient incroyable, compte tenu de l’expertise de la Commission. Je m’attendais donc à ce que tout soit vite corrigé si je signalais le problème à ses experts et à sa présidente. 

Pas du tout! La dernière version du règlement, vieille de quelques jours, définit pour la première fois que les déchets de faible activité « sont appropriés pour évacuation dans des installations de gestion près de la surface » mais elle ne change pas leur nom pour autant. On persiste à les dire « de faible activité » même quand leur activité réelle est astronomique et mortelle. L’erreur est délibérée!

L’erreur a aussi des effets pratiques puisque la Commission se prépare à approuver une « installation de gestion de déchets près de la surface » à Chalk River, à côté de la rivière des Outaouais dont l’eau potable alimente Gatineau, Laval et Montréal. Ce dépôt recevra plus d’un million de tonnes de déchets radioactifs civils et militaires qui appartiennent au gouvernement fédéral. Celui-ci nous promet que l’installation durera 500 ans même s’il s’agit d’un monticule de déchets entassés sur une colline. (C’est aussi cela, « près de la surface »!)

Depuis octobre 2017, le promoteur de ce monticule radioactif répète sur toutes les tribunes qu’il va y stocker « uniquement des déchets de faible activité ».  C’était chaque fois un mensonge. Ses communications secrètes avec la Commission, obtenues grâce à la loi sur l’accès à l’information, révèlent au contraire qu’il n’a jamais eu l’intention d’exclure de son projet les déchets trop radioactifs pour qu’on puisse les toucher sans blindage. Parmi les 134 000 mètres cubes de barils et de conteneurs radioactifs qu’il prévoit entasser dans son monticule, aucun ne contient des déchets que vous pourriez toucher sans blindage.

Désormais, par la magie du nouveau règlement qui change le sens des mots, tout déchet radioactif placé dans ce dépôt deviendra par définition « de faible activité ». Toutes les promesses mensongères des trois dernières années deviendront vraies. 

Heureusement que la Commission de sûreté nucléaire veille à notre sécurité!    

It’s Only Low Level Radioactive Waste!

By Gilles Provost, retired science journalist

 While the media are talking about coronaviruses and racial riots, Canada is trying to deceive the public by hijacking the definition of its radioactive waste.

Low-level radioactive waste, for example, has always been harmless enough to be handled with bare hands without protective shielding. However, just a few days from now, these very same words “low level waste” will refer to radioactive products a thousand times more dangerous, often deadly to the touch.

This semantic perversion is hidden in a mega-regulation the Canadian Nuclear Safety Commission (CNSC) plans to adopt on June 18. This new  regulation stipulate that any radioactive waste will be “Low Level” (faible activité/weak activity in French) as soon as it can be disposed of safely at less than 30 meters underground (“near-surface”), even if it also needs to be wrapped in a lead or concrete screed!

Only one constraint: this waste must mostly made of short-lived radioactive elements, the danger of which will have disappeared “a few hundred years” from now. The rational here is that any near-surface dumping site will be vulnerable to erosion and human intrusion. Since its isolation and containment systems have such a limited life expectancy, it should only contain waste that decay quickly. The hazard must disappear faster than the dump.

The absurdity here is not to create this new waste classification; it is rather to keep the old name which then becomes misleading. We cannot talk about low-level/weak activity waste if we don’t even take its activity level into account!

Worse, this is also a scientific nonsense: The activity of a radionuclide, in physics, is its decay rate. The faster it decays, the stronger the activity. This means that any radioactive waste which has a high activity level according to physics would now be a Low Level/weak activity waste, according to the new CNSC definition!

The mistake is gross enough to be unbelievable, given the Commission expertise. So much so that I expected everything to be fixed quickly if I reported the problem to its experts and its president.

Not at all! The latest version of the regulation, a few days old, now defines Low-Level waste as  “suitable for disposal in near surface facilities” but has not changed the name accordingly. They persist in calling it Low Level/weak activity” waste even when its real activity level is astronomical and deadly. The misunderstanding is  intentional!

The confusion also has practical effects since the Commission is preparing to approve a “Near Surface Disposal Facility” at Chalk River, next to the Ottawa River which serve as the drinking water source for Ottawa, Laval and Montreal. This facility will receive at least a million tons of civilian and military radioactive waste belonging to the federal government. We are also being told that this dumping ground will last for 500 years even if it is a mound of waste piled up on a hill. (Yes, “near surface” may also mean that!)

Since October 2017, the promoter of this radioactive mound has been repeating again and again that it will only contain ” Low Level Waste”. It was a lie each and every time. His secret communications with the Commission, obtained thanks to the Access to Information Act, reveal on the contrary that he never intended to exclude any waste that we should not touch without shielding. Among the 134,000 cubic meters of barrels and radioactive containers he plans to pile up in his mound, none contains waste that could be touched without shielding.

From now on, by the magic of this new regulation which redefines word’s meaning, any radioactive waste placed in this repository will by definition become “Low Level/Weak Activity Waste”. All the false promises of the past three years will become true.

Thankfully, the Nuclear Safety Commission is keeping us safe!